Faut-il être operculophile pour réussir ses innovations?
Rédigé par Aurélien Aucun commentaire Lecture raisonnée et constructive de: Benoit-Cervantes, G. (2008). La boîte à outils de l’innovation. Paris: Dunod.
Aux aficionados du rayon « boîtes à rangement » du catalogue Ikea
A ceux qui utilisent encore le tiroir prévu à cet effet pour ranger leurs crayons
Aux philatélistes, operculophiles, numismates, cumixaphiles, paternaliphile ou nanomanes*
A belle-maman (catégorie réservée aux experts)
A tous les psychopathes, enfin, qui persistent à aligner au cordeau les piles rebelles et autres sujets de contrariété ménagère: cet ouvrage constitue une sorte de fantasme.
En effet, voilà ENFIN un livre qui met de l’ordre dans tout ce fouillis de créativité innovante en rangeant tout dans des catégories résolument logiques. Du coup, comme ça, ça a l’air simple. Difficile de trouver des porteurs de projets innovants? Check list des compétences requises en page 14. Vous ne savez pas lire l’avenir? Faites un cahier des tendances (p.48). Vous avez de la peine à composer votre portefeuille de produits innovants? Adoptez la typologie de Geroski et Marksides, page 66. Vous n’avez pas de nouveau produit? Faites un focus group (p.82). On vous résiste? Matrice des attitudes-influences en page 32.
Bref, cette très jolie collection de 66 outils o-pé-ra-tion-nels est supposée être indispensable pour réussir vos innovations. Notons que la couverture est richement imagée d’un cube avec plein de facettes, métaphore particulièrement judicieuse en regard du contenu. Certes, le cube est une figure pleine de mérites, mais reconnaissons qu’il dispose d’un potentiel d’ébouriffement assez médiocre.
D’où ma question : faut-il être operculophile pour innover? En d’autres termes, une accumulation d’outils amoureusement rangés dans de petites boîtes est-elle la voie royale pour l’innovation? A cette interrogation, la fibre méthodologique profondément enfouie au cœur de chacun d’entre nous ne peut que démanger furieusement. En effet, lâcher sauvagement des outils dans la nature sans une indispensable réflexion un tant soit peu stratégique est toujours inquiétant et riche en opportunités de dérapages incontrôlés. Et, tout à fait entre nous, promettre le sésame de l’innovation à celui qui achète en réalité une bête boîte à outils fleure un peu le bonimenteur vendant de la lotion-pour-faire-repousser-les-cheveux.
Mais c’est ici qu’un soupçon doit nous assaillir, au niveau de l’estomac. L’une des principales facettes de l’innovation repose sur la difficulté d’asseoir à la même table des spécialistes d’horizons différents sans qu’ils se considèrent mutuellement comme des guignols. Ne pourrait-on pas soupçonner ici un exemple flagrant de malentendu culturel?
Et Bingo. L’auteur est une ingénieure docteur en physico-chimie des matériaux. Si la commercialisation de boîtes à outils est un répulsif puissant pour la majorité des universitaires normalement constitués, cela n’est pas le cas pour les ingénieurs, qui réagissent totalement différemment lors qu’ils sont exposés à une liste à puces.
Ces variations interdisciplinaires trouvent très certainement une explication plausible qu’il est très dangereux d’exposer sans un minimum de précautions oratoires. Avez-vous déjà essayé d’expliquer la différence de réflexion entre les hommes et les femmes?
Eh ben c’est un peu pareil.